Dans la méditerranée, il y avait un grand pays. Ce pays s’appelle communément la Grèce. Dans la Grèce, il y avait une grande ville, appelée communément la capitale. Plus précisément, cette capitale était nommée communément Athènes. Dans Athènes, il y avait des rues et une charmante petite maison appartenant à une jolie musicienne. Mais dans cette maison, c’était le bazar, et surtout, il n’y avait pas de jolie musicienne. Si vous y étiez passé ne serait-ce que quelques minutes avant, peut-être l’auriez-vous vue, en train d’écrire une lettre avec un air rêveur. Mais il n’y avait plus de musicienne, plus d’air rêveur. A la limite, une lettre était encore là sur un bureau, mais rien de plus, et cherchez bien la maison était parfaitement vide. Même un violon avait disparu. Que s’était-il passé ? Oh, et bien pourquoi ne pas faire un petit voyage dans l’espace afin de comprendre cette étrange situation. Dans Athènes, comme nous l’avons dit, se trouvent des rues. Si les hélicoptères existaient, une certaine scène aurait été amusante à voir de haut. Les dieux s’amuseraient ! S’ils existaient encore également. Mais les dieux non plus n’existaient plus. Une certaine jeune fille qui portait comme surnom celui d’un dieu, Artémis, était actuellement dans ces rues. Oui, vous l’avez compris, il s’agit de la musicienne dont nous parlions tout à l’heure. Or, parler d’un musicienne dans la rue appelle sûrement à imaginer une splendide jeune femme à la démarche de danseuse, faisant traîner une belle robe derrière elle, pour se promener calmement et avec un exquis plaisir à prendre en plein visage la fraîcheur de l’air.

Mais non, malheureusement, ce n’était pas tout à fait ainsi que la scène se déroulait. Artémis, ou Aliénor comme on l’appelait pour l’instant, était jetée comme un sac de patates sur l’épaule d’un homme qui courait jusqu’au port. Se faisait-elle enlever ? Mais non, voyons ! Enfin, techniquement, si. Mais si l’homme courait, ce n’était pas vraiment pour l’enlever le plus vite possible, c’était surtout parce qu’il était connu sous le nom du Capitaine Jack Sparrow, pirate qui se voulait renommé mais ne l’était apparemment pas tant qu’il le croyait, et qu’il était poursuivi par la moitié de la police d’Athènes pour la très mauvaise raison d’avoir osé mettre son bateau sur le port. Et depuis qu’il s’enfuyait il pensait qu’un port était fait pour amarrer des bateaux, point à la ligne ; ce règlement était profondément absurde et injuste. Et leur port commercial ne serait bientôt plus très commercial s’il n’y avait plus de bateau dessus, c’était bien sûr. Comme protestation, il avait enlevé une jeune fille : voilà ce qu’il dirait sans doute à son équipage. La vérité était un peu trop honteuse : il avait eu tellement peur qu’elle crie au secours qu’il l’avait assommé, et ensuite il avait eu tellement peur qu’on la trouve là et que cela augmente les arguments qu’on avait déjà contre lui qu’il l’avait prise sur son épaule et courait maintenant. Heureusement, il avait toujours eu, et avait toujours actuellement, des matelots très fidèles qui s’empresseraient de venir l’aider à la mettre sur le bateau. Déjà, il avait un autre problème : c’était bien beau d’avoir réussi à atteindre la rive, le port qui était devant lui était infesté d’uniformes de la garde. Il s’arrêta sur le chemin et se cacha derrière des tonneaux tandis que les soldats lui passaient devant sans le voir et criaient qu’on devait le retrouver avant qu’il ne lève l’ancre. Bon, qu’allait-il faire à part rester là jusqu’à ce qu’ils perdent espoir ? Mais ils n’allaient pas perdre espoir, temps que le Black Pearl serait là, ils ne cesseraient de surveiller. Oh, et ces soldats étaient stupides après tout, avec son grand âge Jack avait de l’expérience, il en avait roulé un bon nombre !

Quand la voie fut à peu près dégagée, il repéra un grand sac et glissa Aliénor à l’intérieur. La pauvre avait une sacrée bosse, et assez grosse pour qu’elle lui tienne pendant une heure ou deux… il ne savait combien de temps, mais elle ne se réveillerait pas avant que son plan ne soit terminé. Puis il porta se grand sac devant sa figure, en avançant vers son navire. Personne ne pouvait le voir, il était caché ! Personne, jusqu’à ce qu’un e voix cri, alors qu’un obstacle humain l’empêchait d’avancer plus : « Plus un geste, et déclinez votre identité ». Jack avait un réflex en cette situation : donner un autre nom que le sien. Mais cette fois il en profita pour appeler à l’aide, puisqu’il cria :

- Paulo Talas !

Normalement, son jeune mousse était toujours dans le coin, il en était même un peu agaçant mais Jack s’en fichait, pourvu qu’il pût se tirer d’affaire grâce à lui. Cette fois, par exemple, il avait plutôt intérêt à se dépêcher avant que cet unique garde fasse revenir tous les autres.

Jack avait un long passé de confrontation avec les soldats. Il s’en était sorti à chaque fois… La preuve, puisqu’il était là ! La passion est dangereuse puisqu’elle nous pousse à vouloir l’objet de la passion, elle oriente la volonté. Non pas que Jack ait la passion des soldats, nous parlons ici de la passion de la peur ou de la hardiesse. Quand il s’enfuyait sous la passion de la peur, ou quand, exceptionnellement, la hardiesse, ou plutôt la cupidité, le poussait à se battre même contre le plus terrible des dragons pour récupérer un trésor. Certes, il n’y avait pas de dragon ici, et c’était quand même plus sympathique d’être devant un pauvre garde. Généralement, et c’était l’habitude qu’il avait prise, ces hommes n’étaient pas bien intelligents. Eux aussi doivent être pleins de passions. Alors, on voyait bien que la volonté était déterminée. Ils avaient certainement la volonté de ne pas se faire avoir par des pirates et surtout de savoir les arrêter. Mais, détournés de leur tâche par leur bêtise, ils étaient toujours vaincus. Le plus facile, c’était quand ils étaient deux ou quand ils avaient des tendances perverses. Les tendances perverses, cela permettait à Jack d’engager une conversation en toute civilité autour d’un verre. Or, c’était toujours l’autre qui finissait par terre le premier parce qu’il était gêné par ces tendances et buvait pour les oublier alors que Jack s’en moquait il savait les gérer. Dans les maisons closes. Mais sinon ils pouvaient être deux gardes, et alors il suffisait de les monter l’un contre l’autre. C’était dans ces moments, dans ces rares moments, que l’on voyait à quel point Jack avait un cerveau et pouvait s’en servir si besoin. Mais en général là n’était pas le problème.

Pour mentir autant, et se rappeler tous ces mensonges, et se tirer de toutes les situations délicates, il ne fallait pas être trop bête. Pour prendre un exemple tout simple, ce n’était certainement pas son jeune mousse qui pourrait tenir ce rôle. C’était bien dommage, d’ailleurs. Le dernier mot de la morale était qu’on ne peut pas être maître de l’univers, mais on peut être maître de soi au point de ne plus désirer ce que la fortune nous refuse. Et ce que la fortune refusait manifestement à Paulo, c’était justement d’être comme Jack. Une chose était sûre, il n’y arriverait jamais. Il suffisait de voir la façon maladroite par laquelle il était arrivé, en manquant de peu de dire son nom devant le soldat. Temps que le nom de Jack Sparrow n’était pas prononcé, tout pouvait s’arranger. Il était l’ennemi premier à chasser de la citadelle. Et comme le simple fait de le faire aller ailleurs n’avait pas l’air de suffire puisqu’il revenait à chaque fois, la seule façon de la chasser définitivement était clairement de le tuer. Le pire des vices de l’âme est l’irrésolution ! Maintenant ils étaient bien résolus : on le trouve, on l’enferme, on le pend. Rien de plus simple ! Donc là il avait besoin d’appeler à l’aide de sorte que Paulo vienne faire diversion pour qu’il puisse monter sur le bateau et partir. Paulo n’avait qu’à le suivre à la nage, il était jeune. La raison nous dicte de prendre le chemin le plus long, celui qui nous fait courir le moins de danger.

Donc Jack allait faire un petit détour à côté du soldat en restant caché derrière son gros sac, et il allait laisser Paulo se débrouiller, lui il prendrait le chemin le plus court, mais Jack le surveillerait quand même de loin. Il n’avait pas envie de perdre des membres de son équipage, et encore moins lui ! D’un coup d’œil rapide, Jack regarda ce qui venait de se passer, parce qu’il avait entendu un drôle de bruit. Oui, Paulo venait de rentrer dans le soldat. Il était roux. C’était drôle, car Jack avait connu quelqu’un qui associait les roux à une personne peu recommandable. Il fallait croire que cette classification était exacte puisqu’il se retrouvait devant l’un de ses pires ennemis, les gardes, et que justement il était roux. Eh bien il n’avait plus qu’à profiter de ce moment de diversion pour courir sur son bateau. Il tenta, mais le garde l’arrêta et menaça de tirer.

- Vous ne devriez pas, il y a une femme dans le sac, vous risquez de la blesser.

« Vous vous fichez de moi ? » Ouais, Jack aurait dû s’attendre à cette réaction. Cependant, il n’arrivait pas à se décider de trancher pour une bonne ou mauvaise réaction parce qu’au moins, on n’allait pas l’accuser d’enlever quelqu’un. Mais d’un autre coté, s’il n’y avait vraiment pas de femme dans le sac, rien ne l’empêchait de lui tirer dessus. Alors, que devait-il faire maintenant ? L’homme avait pointé son fusil. Mais Jack ne voulait pas qu’on tue Aliénor, il ne voulait qu’on tue personne… Pas une femme en tout cas, ce n’était pas dans ses habitudes. Alors il n’avait qu’à espérer que Paulo allait trouver un truc pour qu’ils s’en sortent tous les deux maintenant. Oui, trouver un truc mon garçon, mais il n’allait pas le lui dire, il se contenta de lui faire les gros yeux, des grands signes de tête en direction du garde mais il n’était pas sûr que le garçon pourrait comprendre. Jack n’avait qu’à être un peu plus clair aussi, mais là c’était trop compliqué. Il faudrait qu’il s’en sorte tout seul : il prit un risque. Il tendit à Paulo son énorme sac en espérant qu’il arriverait à porter. Pas sûr. Alors tandis qu’il dégainait son épée, il le soutint du bras.

- Coucou !

Il ne trouva rien de mieux à dire à ce garde qui se retrouvait soudain devant Jack Sparrow. Et, évidemment, réaction qu’il aurait dû attendre : il cria pour ameuter toute la ville qu’il l’avait retrouvé. Mais en attendant, trop occupé à appeler ses camarades, il ne le regarda pas. Jack reprit le sac et courut vers le Black Pearl en criant à Paulo :

- Retiens-le !

// Paulo écarquilla les yeux, lorsque le Cap'taine affirma qu'il y avait une femme dans le sac. Serait ce possible ? De Jack, tout était possible, mais tout de même, Paulo n'y croyait qu'à moitié, comme le garde qui haussait les sourcils, sceptique. D'ailleurs, le splendide "vous vous fichez de moi" que tous attendaient arriva bien vite et Paulo hésita quelques secondes à rire ouvertement. Bien sûr que le Cap'taine se fichait de lui... en lui disant à coup sûr la vérité. D'ailleurs, cette vérité si vraie, il la vérifiait à l'instant même, en réceptionnant le sac qui contenait la dame, et évitant de le faire tomber, Paulo ouvrit grand les yeux, espérant voir son idole combattre le garde et lui en mettre plein la vue. Que nenni. Jack Sparrow était bien trop futé pour tuer et ridiculiser (ou dans l'autre sens) un représentant de l'autorité au milieu du port. Le Capitaine du Black Pearl reprit d'ailleurs bien vite son chargement, qui pesait bien lourd, profitant de l'instant pendant lequel le garde appelait ses camarades et donc, ne les regardaient pas, eux, pour rentrer au bateau, confiant l'immense honneur de le couvrir à Paulo qui souriait de satisfaction.

Le garçon, bien campé sur ses pieds habitués au tangage du bateau, toisa le garde, malgré le fait qu'il faisait bien une tête de moins que le soldat. Paulo commença à balancer la tête au rythme d'une musique imaginaire, vive et rythmée bien sûr. Puis ce fut tout son corps. Un clin d'oeil, et il entama une danse qu'un marin lui avait appris lorsqu'ils avaient mouillé à l'île de Djerba. Paulo entendait encore les tambourins et s'imaginait un soir, en face de jolies filles. Le garde ne savait pas ou se mettre, devant le garçon de cinq ans, un mousse visiblement ou du moins un marin, qui dansait à moitié les yeux fermés, l'empêchant d'avance et surtout de suivre du regard l'homme qui semblait être un pirate. Mais il commençait aussi à être agacé. D'un mouvement brusque, il essaya de pousser hors de son chemin Paulo qui, aussi agile que dans les cordages esquiva le coup et se replaça devant le garde, toute trace de musique ayant disparu de ses oreilles. Dommage. //

Ohla ! Monsieur ! Attendez ! J'voulais vous poser une question.

// Le garde n'était plus d'humeur à rire, et fit mine d'armer son fusil. Paulo jeta un regard en arrière, jugeant l'heure du repli annoncée. Bon. Il fallait soit trouver une bonne excuse au Capitaine, soit prendre la fuite, soit... oh ! Mais oui ! Paulo avait toujours été doué en théâtre. Ou presque. Quelques furent ses dons ultérieurs en comédie et en théâtre, à présent il devait être parfait. De nouveau, Paulo écarquilla les yeux, horrifié. Le garde se figea un instant dans son geste, tandis que les autres arrivaient en courant, soufflant comme des boeufs. Quels nuls. Toutefois, Paulo cacha son hilarité dans une grimace paniquée. Jugeant le moment venu, il gesticula en désignant du doigt un point loin dans la ville; Puis vint le temps des cris hystériques. //

Regardez ! Regardez ! Là-bas, quelqu'un se fait agresser dans la rue !

// Réaction normale, tous les gardes firent volte face. Paulo manqua d'éclater de rire. Plus vif qu'un poisson, Paulo réagit, prenant au vol l'occasion d'enfoncer davantage le couteau: //

Mais si regardez ! Bon sang allez l'aider !

// Alliant le geste à la parole, Paulo prit le chemin de la ville, vite suivi par les gardes. Mais il n'avait pas l'intention de rester croupir ici, alors dès que l'occasion se présenta, il fit demi tour, faussant compagnie aux gardes qu'il avait éloigné du port. Sautant sur les cageots, bousculant quelques personnes, Paulo arriva bien vite au Black Pearl, regardant parfois derrière lui pour s'assurer que les gardes ne le suivaient pas. Mais la foule qui commençait à s'amasser n'était pas pour aider... Lestement, Paulo grimpa aux cordages, croisa le regard de son capitaine et lui fit un grand sourire. //

Ce n'était pas la première fois que ce Paulo était abandonné par Jack et devait se débrouiller pour régler le problème dans lequel il l'avait mis à sa place. C'est pourquoi il n'avait pas beaucoup d'inquiétudes, le petit s'en sortirait. Et puis, de toute façon, même s'il était destiné à ne jamais s'en sortir, Jack n'aurait pas eu plus d'inquiétudes pour autant. Ce n'était pas son genre, Son genre, c'était courir en portant une femme dans un sac jusqu'à son bateau. Son bateau était grand, et noir, et féroce, et terrifiant. Et plein de monde pour l'aider à se battre se besoin. Ou pour se battre à sa place. La bataille était, pour Jack, le moment le plus important. Il y en avait qui croyaient qu'il avait toujours pris la fuite face au combat. C'était faux ! Et la chose la plus ignoble et dégradante qu'il n'avait jamais entendue. Fuir face au combat était une attitude lâche. La lâcheté ne le qualifiait pas bien du tout. Lui, il avait toujours dit qu'il fallait se battre: pour prendre la fuite . Mais parce que, c'était logique, voyez vous: s'ils s'enfuyaient tout à coup, l'ennemi les poursuivrait. S'il était parti en courant avec Paulo à ses côtés, le garde aurait crié et tiré. Mais s'ils se battaient pour prendre la fuite, ils avaient ainsi le temps de déstabiliser l'adversaire, de l'affaiblir. Donc Paulo avait nécessairement besoin de se battre pendant que Jack prenait la fuite. Cependant, malheureusement, il avait l'étrange pressentiment que croire que Paulo allait se battre n'était qu'un vain espoir, un optimisme carrément délirant. Mais avant de jeter un regard en arrière, il attendit d'être sain et sauf sur son bateau. Cela n'allait pas tarder: il montait déjà dessus, le grand sac sur son épaule. Le grand sac avait d'ailleurs l'air de remuer. Avec un grand cri de frayeur et une hideuse grimace, il accéléra le ruthme jusqu'à enfin toucher le pont du Black Pearl.

- Monsieur Gibbs ! Venez ici immédiatement.

Il dénoua la corde qui retenait le sac fermé pour apercevoir le visage d'Aliénor. Mais en fait, ce fut pire que tout, et il hurla plutôt, stupéfait de tomber sur des yeux ouverts. Et Gibbs qui n'arrivait pas ! Jack prit le premier objet lourd qui lui tomba sous la main et, avec un grand coup, assomma de nouveau la jeune femme. Cette fois, il lui semblait que c'était bon. Il était tranquille pour un bon moment maintenant. Le temps juste de retrouver Paulo des yeux et d'aller la mettre dans une chambre après avoir pris le large. Il se redressa brusquement. Où était le petit ? En train de danser. Incroyable. Il avait des idées stupides, ce gosse. La plus stupide de toutes avait été de le suivre en douce. Ou alors c'était justement de se mettre à danser, comme maintenant: le garde se décidait enfin à réagir et levait son fusil. Mais Jack ne trouvait pas du tout cela drôle. Il se cacha les yeux des mains et regarda la catastrophe entre ses doigts. Mais Paulo n'était pas complètement stupide en fait car il se mettait à courir et disparaître dans une foule. Le plus stupide des deux en fait était le soldat, puisqu'il se mit à le suivre. Parfait. Jack ne fut pas surpris de voir, à peine une minute plus tard, Paulo à ses côtés et prêt à partir. Avec un petit sourire. Il allait lui faire manger, ce sourire ! Il n'y avait pas le temps pour sourire. Il y avait tout juste le temps de lever l'ancre et prendre la fuite.

- Eh bien, qu'est-ce que tu attends là comme un imbécile ? On lève l'ancre, et plus vite que ça !

En attendant, Jack s'agenouilla et referma le sac où était encore Aliénor évanouie. Il valait mieux que les autres membres de l'équipage ne voient pas qu'il y avait une femme à bord où cela risquerait de créer des problèmes. Déjà, le premier problème serait le gamin. Il ne laissait personne tranquille, alors surtout pas une femme.

- Eh bien, qu'est-ce que tu attends là comme un imbécile ? On lève l'ancre, et plus vite que ça !

// Paulo fit vite disparaître le sourire de son visage lorsqu'il regarda le sac, ouvert, aux pieds du capitaine Sparrow. Ah ben zut. C'était vraiment une femme. Une vraie de vraie avec des yeux fermés, des cheveux longs et des traits fins. Alors que Jack lui avait donné un ordre, Paulo resta immobile, la bouche ouverte pour les mouches, à fixer la femme. Reculant un peu, il fit comme un vieux matelot le lui avait montré, il se signa. Ca porte malheur une femme à bord d'un bateau. Même endormie ou, dans le cas présent, assommée. La présence de la dame mettait Paulo mal à l'aise. Ayant grandi plus ou moins sur le bateau, il était très réceptif aux croyances des marins, et si le vieux Bob avait dit que c’était mal d’amener une femme à bord, alors c’était mal. Mais là, ce n’était pas n’importe qui qui avait amené une femme sur le bateau. C’était le Capitaine. Et, théoriquement du moins, le capitaine Sparrow savait ce qu’il faisait. Paulo l’espérait en fait, peu convaincu. Restant auprès du pirate, Paulo observait attentivement la dame. //

- Cap’taine, vous la connaissez ?

// Paulo voulait vérifier que son capitaine ne s’était pas trompé de sac. Enfin, théoriquement, il ne s’était pas trompé, puisqu’il avait avoué au garde qu’il y avait une femme dans le sac, mais bon… Il fallait bien essayer. Paulo était aussi déçu que ce ne fusse pas du rhum. Le rhum, c’était mieux qu’une femme. Parce qu’une femme, ça mangeait, buvait, alors que le rhum, ça permettait de boire et de ne pas manger. En fait, tout bien réfléchis, Paulo ne voyait pas l’intérêt de ramener une femme à bord. Elle ne savait pas naviguer, vu sa robe et son teint pâle de riche, et n’allait être qu’une bouche supplémentaire à nourrir. Diantre. Par la barbe noire de Barbe Noire, c’était tout nul ça. Se souvenant de l’ordre que lui avait donné Jack voilà quelques minutes, Paulo se réveilla et sortit précipitamment de la cabine. Il s’approcha du matelot le plus proche, avisa les gardes qui revenaient vers le port, et transmit l’ordre de lever l’ancre. Aussitôt dit, aussitôt fait, les matelots s’activèrent de tous côtés, efficaces comme à leur habitude. Qui avait dit que les pirates n’étaient pas de bons marins ? Au contraire, c’étaient les meilleurs, prônant l’efficacité et la rapidité, contrairement aux navires du roi qui eux, avaient pour eux la quantité des hommes. Lorsqu’on était pirate, pour avoir un équipage, il fallait recruter des hommes qui savaient qu’au bout de la route, s’ils étaient pris, c’était la potence qui les attendaient, avec un grand sourire et un aller simple pour les enfers… Si on croyait aux enfers bien évidemment. Dans le cas contraire, c’était un aller simple pour Davy Jones. Rien que d’y penser, Paulo frissonna. Le bateau tangua lentement, et Paulo jugea le moment d’aller chercher le capitaine venu. Le regard que le second posa sur lui le lui confirma et, toujours aussi leste, Paulo rejoignit la cabine qu’il avait quitté quelques instants plus tôt. La femme était toujours là, malheureusement, et Paulo fit un détour pour l’éviter. Pas qu’il était superstitieux, ça non, mais il ne fallait pas non plus jouer avec le feu. Imaginez que c’était une sirène, qu’elle avait déjà envouté le Capitaine Sparrow, et qu’elle allait leur sauter dessus pour les dévorer. D’une voix hésitante, Paulo demanda : //

- Capitaine, on attend vos ordres, dehors. Et… euh… qu’est ce qu’on va en faire ? On la jette par-dessus bord ?

// Paulo détailla un peu plus la jeune femme qui semblait dormir. En fait, dans un sens, si on excluait la bosse qui commençait à lui poindre sur le côté du crâne, et le fait qu’elle venait d’être assommée, on pouvait même dire qu’elle dormait… Artificiellement du moins. Elle n’était pas trop moche, mais Paulo se méfiait. Les sirènes étaient belles non ? Et elles ne mangeaient pas moins de la chair humaine, lorsque… les histoires de pirates résonnèrent dans la tête de Paulo qui se passa une main nerveuse dans ses cheveux noirs. Son regard tout aussi foncé se porta alors sur un objet curieux qui dépassait du sac. Paulo bondit en arrière. //

- Cap’taine ! Elle est armée ! Ah… non… c’est un violon. Elle sait en jouer ? Elle pourra m’apprendre ? Je sais déjà chanter, et… euh… je… me tais.

// Paulo fit une moue songeuse. Si elle savait jouer du violon, peut être que c’était pour ça que Jack l’avait emmenée sur le Black Pearl. C’était pour qu’elle leur raconte des histoires, le soir, et qu’elle joue de la musique. Mais il y avait plein de matelots qui savaient jouer. De l’harmonica, bien sûr, pas du violon, mais c’était de la musique tout de même ! Reprenant un temps soit peu contenance, Paulo continua de détailler la jeune femme. //

- Elle est pas trop moche.

Penser comme Jack, penser comme Jack. C'était toujours ce que Jack se disait avant d'agir. Inutile, pensez-vous ? Mais pas le moins du monde. En pensant comme Jack, on arrivait à tout. Mais il faut croire, apparemment, que Jack n'était pas capable de penser comme il aurait pensé lui-même instinctivement et il avait besoin de se demander ce qu'il ferait dans telle ou telle situation avant d'agir. Cependant, la situation "femme à bord" était assez nouvelle et, quoique d'habitude il se serait contenté de la jeter par-dessus bord, il ne l'avait pas enlevée pour s'en débarrasser si vite. Donc, que restait-il à faire ? Penser comme Jack. Mais ce n'était pas le moment de penser comme Jack ! Puisque Jack l'aurait jetée par-dessus bord et que Jack ne voulait pas la jeter par dessus bord parce qu'elle était riche, elle s'appelait Phébus, et elle avait sûrement une famille pleine d'argent qui voudrait offrir une rançon. Ce qu'il fallait faire, c'était penser comme un gamin de la côte qui serait bon et généreux envers les jeunes femmes. Malheureusement, bon et généreux, cela restait à être défini. Il allait l'envoyer dans la cale, oui, et elle ferait le ménage le lendemain matin, comme tout le monde ! Ils ne méritaient que ça, ceux qui osaient monter sur son Black Pearl sans y être invités. Mais bon, ce n'était pas comme s'il ne l'avait pas invitée de force. Donc il ne pouvait pas vraiment non plus lui faire subir le traitement des non invités. Heureusement - ou pas - le gamin lui permit de penser à autre chose en posant une question idiote.

- Si je la connais ? J'ai l'air de la connaître ? Et je t'ai déjà dit de ne pas rester planter là comme une andouille et de lever l'ancre, sinon les idiots du port vont nous rattraper.

Quand il voyait ce gosse, il avait envie de boire du rhum pour se calmer. D'ailleurs, il avait toujours envie de boire du rhum pour se calmer. Il avait toujours envie de boire du rhum tout court, énervé ou pas. Alors il laissa un court moment Aliénor sans surveillance pour aller chercher sa bouteille et revint aussi sec. Voilà, maintenant il avait les idées parfaitement claires: il fallait la mettre dans une cabine. Jack se baissa pour soulerver le sac et, la bouteille dans l'autre main, il entra dans une cabine ou il la jeta presque le lit. Puis il sentit une secousse. Enfin ! Le bateau était en marche et ils quittaient Athènes. Parfait ! Ce n'était pas trop tôt. Et par chance, ce n'était pas trop tard non plus. Parce que pas trop tôt, à vrai, dire, il en avait l'habitude, et ce n'était pas un exploit. L'exploit, ce serait plutôt que le gamin se tienne tranquille. Il n'avait pas pu résister à la tentation de revenir, apparemment, pour voir ce qui allait arriver à la jeune femme. Ce devait être nouveau pour lui de croiser une de ces créatures étranges sur un bateau pirate. Ca l'était sans aucun doute, et ce pauvre petit devait être fort perturbé puisque la première idée qui lui vint fut de la jeter par-dessus bord. Cette idée arracha un sursaut à Jack. Voilà qu'il se mettait à penser comme lui ! Enfin, pas comme lui, là, maintenant, mais penser comme Jack. C'est très clair, n'est-ce pas ?

- La jeter par-dessus bord ? Ce que tu dis n'a aucun sens. Si j'avais eu l'intention de la jeter par-dessus bord, est-ce que tu ne crois pas que je l'aurais jetée quand j'étais encore sur la côté, ce qui m'aurait permis de me battre contre le garde et de courir plus vite ? Il est hors de question que cette femme passe par-dessus bord, tu m'entends !

Jack se détourna de lui et continua à marmonner contre la stupidité de ce gamin. Pourquoi l'avait-il pris déjà ? Ah, oui, il ne l'avait pas pris, il s'était invité tout seul. C'était lui, en fait, qu'il aurait dû jeter par-dessus bord dès que l'occasion se serait présentée. Mais il ne l'avait pas fait parce que même s'il l'épuisait et s'il ne supportait pas de l'entendre jaser toute la journée, il était très utile pour l'envoyer dans la gueule du loup à sa place. Ou contre les soldats. Ou se battre. Ou sur une île déserte, pour vérifier qu'il n'y avait pas de monstres. A cette idée, Jack frissonna. Les monstres... Il fallait régler ce problème aussi et il espérait au moins que la jeune femme avait des informations là-dessus. Sinon, cela signifiait qu'elle ne servait à rien. Non, il ne pouvait pas supporter d'avoir sur son navire des gens qui ne servaient à rien, comme cet affreux macaque qui courrait partout et que son maître avait anciennement appelé Jack, juste pour l'embêter sans doute. Mais il l'avait balancé par-dessus bord depuis, il était tranquille, parfaitement tranquille. Soudain, alors qu'il était encore plongé dans des pensées très philosophiques à propos du singe, il en fut tiré par une exclamation soudain. Quoi, elle était armée ? De toute façon, elle était évanouie, donc armée ou non, elle ne pouvait pas leur faire grand chose. Alors qu'en plus il confonde une arme et un violon. Même Jack n'était pas aussi bête. Il soupira et secoua la tête. Qu'allait-il faire de lui ? Voilà qu'il voulait apprendre à jouer du violon, maintenant. Comme si on en avait quelque chose à faire de la musique, ici ! Enfin, si, Jack aimait bien la musique. Pas autant que le rhum, mais c'était agréable de boire un petit verre de rhum avec une petite mélodie dans les oreilles. C'était pour cette raison d'ailleurs qu'il avait pris l'instrument en même temps que la femme. Mais il était hors de question que Paulo se mette à faire la chochotte et à jouer de la musique. En plus, pour ce qui était de chanter, rien n'était moins sûr. Alors il prit une bonne résolution en décidant de se taire. Jack hocha la tête avec un sourire satisfait et se retourna, s'apprêtant à aller faire autre chose pour régler le problème, quand le silence promis par son mousse fut vite brisé. Il soupira.

- Bien sûr que non elle n'est pas trop moche ! Elle a de l'argent et un décolleté. Sache que c'ets comme ça qu'on mesure la beauté d'une femme, petit. Mais tu ne la touche pas. un jour je t'emmènerai à Tortuga si tu veux, et tu auras toute les femmes que tu veux. Mais celle-là va nous servir à autre chose.

En disant cela, il ne savait pas vraiment ce que cela signifait. A quoi servirait-elle ? Oh, il s'en occuperait le moment venu. Pour l'instant, il sortait de la cabine en se demandant ce qu'il allait faire pour que cette présence passe inaperçue. Elle était toujours évanouie, et vu le coup qu'il lui avait donné, cela risquait de durer encore un bon moment. Autant l'installer convenablement de sorte qu'elle se sente bien à son réveil. Jack retourna vers le lit et commença par la sortir du sac. c'était sûr que si elle ne pouvait plus respirer, elle ne risquerait pas de se réveiller.

- Toi, va chercher un balais et nettoie moi cette cabine.